Le Monde a publié dans ses colonnes, le 28 janvier 2016, le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur le logement en France. Ce rapport dresse le tableau sombre d'une France malade du mal-logement où le nombre de sans domicile, de personnes vivant dans des conditions déplorables, sans chauffage, sans eau courante, sans cuisine, ne cesse d'augmenter. Tous les indicateurs sont dans le rouge et les chiffres sont éloquents : 16 millions de personnes en France sont concernées par le mal-logement. 4 millions des mal logés sont dans des logements insalubres ou exposés à des nuisances graves. 12 millions sont fragilisés avec une intensité diverse par la crise du logement (surpeuplement, loyers trop élevés, menace d'expulsion, propriétaires véreux...). En 15 ans, le nombre de sans domicile qui vivent dans la rue, dans des abris de fortune ou dans des centres d'accueil surpeuplés, a augmenté de 50 %, poursuit le rapport, ils étaient 120 000 en 2001, ils sont plus de 240 000 en 2015 !
Le logement est à la fois le reflet et l'accélérateur des inégalités
Les classes populaires sont les plus touchées par ces difficultés à se loger. Elles consacrent 56 % de leurs revenus pour se loger contre 18 % pour la moyenne nationale. Une personne âgée comme Lucette, 66 ans, qui vit avec l'ASPA (ex minimum vieillesse), soit 800,80€ par mois, déboursera donc 424€ par mois pour un modeste studio de 24m² à Nice, situé avenue de Cessole, tandis que, comparativement, Charles, 33 ans, célibataire et cadre supérieur dans une société d'informatique, avec 6 000€ nets par mois, s'offrira un confortable 3 pièces de 80m² dans le centre ville pour un loyer mensuel de 1 080€. « Le logement est le reflet des inégalités, mais il est aussi l'accélérateur des inégalités ». Le rapport du secours catholique publié en novembre 2015 fait état d'une augmentation constante de l'extrême pauvreté en France depuis 2002 où 600 000 personnes, toutes provenances et toutes générations confondues, vivent avec moins de 535€ par mois.
Le mal logement créé des problèmes de santé dont les personnes âgées et les enfants sont les premières victimes
Etre mal logé, toujours selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre, c'est s'inscrire dans le cercle infernal de la précarité, du manque de soins et d'hygiène qui aggrave l'état de santé de personnes fragiles et vulnérables : personnes âgées bénéficiant de faibles ressources, malades, chômeurs... Dans certains logements insalubres, pour ne pas dire des taudis, on constate un mortalité néonatale huit fois plus élevée que la moyenne nationale. Une vétusté de l'habitat très nocive qui est la cause de problèmes respiratoires, d'intoxications ou d'allergies diverses. En France, on recense 600 000 personnes concernées par ces problèmes de santé publique.
Des engagements politiques « reniés » selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre
Le rapport précise que malgré quelques avancées, certains engagements ont été tout simplement « reniés » comme la garantie universelle des loyers, la construction de 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux. Les objectifs initiaux sont loin d'être atteints ! Face à cette situation désastreuse, la Fondation Abbé Pierre appelle à plus de volontarisme politique quant à la construction de logements avec en priorité un habitat de type social accessible aux ménages les plus modestes. Elle demande également une prévention des expulsions locatives et des évaluations de terrain concernant le marché de l'immobilier, des engagements volontaristes pour terminer ce quinquennat par une politique structurelle afin d'enrayer le processus d'exclusion des Français par le logement.
Moi Lucette Grandjean, 66 ans, mal logée
Coquette sexagénaire, Parisienne d'origine, Niçoise depuis 20 ans, Lucette vit de l'Allocation de Solidarité aux Personnes Agées, soit 800,80€ par mois. Elle aimerait améliorer son ordinaire et trouver un petit boulot complémentaire mais, percluse d'arthrose, cela lui est impossible. Elle paye chaque mois un loyer de 480€, soit 60% de ses revenus pour un studio de 24m² situé au troisième et dernier étage d'une immeuble vétuste, sans ascenseur, à la façade lépreuse. Les infiltrations d'eau par le toit, les disputes fréquentes de ses voisins dont elle n'est séparée que par une mince cloison, l'exiguïté de son logement... Lucette vit recluse dans son univers sordide et malsain. Elle a cessé de remplir des dossiers de demande de logement social car, selon l'aveu d'impuissance d'une assistante sociale, la pénurie de logements sociaux les oblige à les accorder en priorité aux familles ou aux parents isolés avec des enfants. Un constat d'échec inacceptable à nos yeux quand on sait que près de 30 000 logements sont vacants à Nice, soit 13% du parc immobilier (8% pour la moyenne nationale). Dans ce contexte, on peut se demander si le mot « solidarité » a encore de la valeur au pays de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen !